OMM
Observatoire de la migration de mineurs
Mineurs non accompagnés et résistance face à l’inactivité en France

Mineurs non accompagnés et résistance face à l’inactivité en France

Stratégies de résistance des jeunes migrants non accompagnés face à l’inactivité liée à leur situation administrative en France 

Océane Uzureau & Daniel Senovilla Hernández
Observatoire de la Migration de Mineurs, MIGRINTER- CNRS- Université de Poitiers

 

Dans la plupart des pays de l’Union européenne, l’accès des mineurs migrants non accompagnés à une protection institutionnelle est souvent conditionné à leur capacité de déposer une demande d’asile. La France représente une exception à ce modèle prédominant d’accueil. Le bénéfice de la protection de l’enfance dépend plutôt, dans les cas des mineurs migrants privés de leur entourage familial, d’une procédure d’évaluation de la minorité et de la condition d’isolement déclarées par le jeune. Cette procédure d’examen de l’appartenance à la catégorie ‘mineur non accompagné’ a lieu d’abord au niveau administratif et se poursuit souvent au niveau judiciaire, se prolongeant dans certains cas sur plusieurs mois jusqu’à l’obtention d’une décision définitive en justice. Pendant cette période d’évaluation, les conditions d’accueil provisoire des jeunes en attente d’être reconnus mineurs non accompagnés varient substantiellement en fonction du département où ils se trouvent. Beaucoup de jeunes sont hébergés en hôtel alors que d’autres ne bénéficient d’aucun logement et se retrouvent dans la rue. Dans des rares cas, certains jeunes sont hébergés en foyer de premier accueil (Bailleul & Senovilla, 2016, pp. 81-93).

Lors de nos actions de terrain, beaucoup de jeunes en situation d’évaluation nous ont évoqué l’inactivité liée à leur situation comme une source majeure d’inquiétude. Ceux qui sont hébergés en hôtel indiquaient que leur quotidien est rythmé par les heures des repas et les heures passées dans leurs chambres devant la télévision.

« Chaque jour je me lève à 12h pour partir manger, le matin, le midi et le soir. S’il y a du foot, je pars regarder chez un ami en prenant le bus, des fois avec des amis de l’hôtel ou parfois seul car j’aime beaucoup le football. J’aime aussi regarder les séries télé telles que la Foudre d’Alice, les novelas, La plus Belle Vie, dans ma chambre. »

Mamadou

Pour faire référence à l’anxiété nourrie par l’absence d’activités qu’ils subissent, les jeunes rencontrés utilisaient couramment l’expression « ça nous chauffe la tête ». Ce sentiment négatif s’accroît si, à l’approche de leur majorité, aucune décision définitive n’a été prise sur leur statut : « Ils m’autoriseront à rester à l’hôtel jusqu’à mes 18 ans et ensuite ils me foutront/mettront à la porte ».

Malgré cela, les jeunes développent diverses stratégies de réaction pour faire face à cette oisiveté contrainte. Les pratiques sportives, et plus particulièrement celle du football, représentent un moyen efficace pour échapper aux perceptions négatives engendrées par cette léthargie forcée (Gernet, 2015, pp. 11-20). Certains jeunes s’intègrent dans des clubs de football locaux alors que d’autres aménagent des espaces de pratique sportive de fortune. Dans la ville de Poitiers, un groupe de jeunes migrants logés à l’hôtel utilisait un espace public près de la gare ferroviaire pour pratiquer ses séances de musculation quotidiennes. D’autres jeunes migrants se préparaient pour leur admission- tant attendue- dans un établissement scolaire. Ils s’entrainaient à réaliser des exercices de mathématiques ou de grammaire qu’ils téléchargeaient sur leurs téléphones portables lors de leur passage dans des points wifi gratuits ou dans les bibliothèques publiques. Nous avions été particulièrement touchés par le témoignage d’un jeune africain qui se rendait tous les jours à une table de pique-nique située dans un parc public qui faisait pour lui office de pupitre d’école. Il suivait un emploi du temps qu’il avait lui même créé dans l’attente de son intégration dans un vrai établissement scolaire (voir photos ci-dessous).

Conscients de l’incertitude de leur statut juridique, les jeunes migrants non accompagnés sont souvent obligés de faire preuve d’initiatives et d’assumer leur propre responsabilité pour remédier aux périodes d’inactivité. Comme le montre le témoignage qui suit, ils tentent de garder le contrôle sur leur propre avenir, bien que celui-ci demeure fortement compromis par différentes contraintes liées à leur situation administrative.

« Patienter pour moi c’est agir en attendant. On me conseille d’attendre sans rien faire, et moi j’agis en attendant, car il n’y a pas de temps à perdre »

 

Mickael

Références
  • BAILLEUL Corentin & SENOVILLA Daniel (2016), Dans l’intérêt supérieur de qui ? Enquête sur l’interprétation et l’application de l’article 3 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant dans les mesures prises à l’égard des mineurs isolés étrangers en France, Poitiers, MIGRINTER, 157p., voir pp. 81-93.
  • GERNET, S. (2015), ‘Passions ordinaires’ des jeunes mineurs isolés étrangers : l’exemple de la pratique sportive comme processus de transformation identitaire, Revue Jeunes et Mineurs en Mobilité nº 1, Observatoire de la Migration de Mineurs, 2015, pp. 11-20.